Point de vue Anthropologique par le Dr. Patience Kabamba sur la mission de Mbanza Ngungu - Février 2023
Extraits de l'article écris par l'anthropologue Pr. Patience Kabamba - Anthropology, African Studies, Philosophy,
Professor of Anthropology at UPN (DRC) - Independent Researcher and Consultant
" Au début de cette semaine, j’étais en compagnie d’une équipe des géologues à Mbanza Ngungu, dans le Congo Centrale. C’était ma première fois de m’associer à ces scientifiques dont l’objet d’étude est de comprendre la vie de la roche, son évolution dans le temps et les réseaux hydrauliques souterrains qui s’y forment et les résurgences consécutives à cette présence des eaux souterraines (des eaux souterraines qui deviennent des sources visibles).
Dans notre pays, des étudiants sont formés pour devenir des géologues (des spécialistes de la Terre), des géologues hydrauliques (qui s’occupent des réseaux hydrauliques souterrains) et des géomorphologistes (ceux qui s’occupent de la forme que prend la terre). J’ai passé du temps en début de cette semaine avec les spécialistes de la roche et nous avons visité deux grottes sur une centaine qu’en compte la région... L’équipe des chercheurs internationaux a continué à travailler dans d’autres grottes de la région lorsque je suis rentré à Kinshasa pour des enseignements.
Comme je l’ai dit au début, la région que nous avions visitée est composée de la roche sédimentaire qui s’étend jusqu’au Congo-Brazzaville voisin comme d’ailleurs c’est le cas de la foret de Mayombe qui arrive jusqu'à Pointe Noire. Toute cette région contient une bonne centaines des grottes d’après la spécialiste qui conduisait l’équipe. L’expression, « la vie est pleine des roches » peut être comprise au propre comme au figuré. Elle peut signifier que la vie est pleine d’obstacles ou de morceaux durs à avaler. Mais, dans ce MDW, cette expression est prise littéralement. Il y a plein de grottes dans la région de Mbanza Ngungu. Si notre expert en a dénombré une centaine, sans doute qu’une étude exhaustive de la région pourrait en trouver davantage. Les grottes font partie de l’environnement des gens qui vivent dans les villages avoisinants. Il y en a qui sont fréquentées et d’autres non ou rarement par les gens du village. Je reviendrais sur cet aspect de deux manières différentes d’appréhender la grotte : l’une dite « scientifique » et l’autre dite « mythique » ou « mystique ».
Pour l’instant, j’aimerai m’appesantir sur la seconde partie du titre de ce MDW : « les roches sont pleine de vie ». Avant cette visite des grottes avec des géologues, si quelqu’un m’avait dit qu’une roche vivait, si on m’avait parlé de la biologie de la roche, j’allais rester dubitatif. Mais, à l’intérieur de la grotte, j’ai pu voir de mes propres yeux la vie d’une roche. L’intérieur de la grotte a livré ses secrets avec l’apparition des stalactites, ces morceaux de roches qui pendent à la manière des lampadaires qui donnent sa beauté à la grotte ou encore des stalagmites qui semble poussaient des bas en haut comme des plantes à la recherche des rayons solaires. La rencontre verticale d’une stalactite et d’une stalagmite est tout simplement d’une beauté sublime à la manière de deux amoureux qui atteignent le point de non-retour symbolisé par un baissé immortel. Les deux grottes que j’ai visitées sont d’une beauté exceptionnelle. Le boulevard souterrain qu’elles ouvrent et toutes les décorations illuminées par du souffre ou d’autres éléments collés à la roche leur donnent une majesté irrésistible. Cet art naturel à l’intérieur de la grotte est sans doute, comme tout art, le grand médicament qui vient soigner nos déchirures existentielles. Et d’ailleurs les habitants du village l’ont compris et n’hésitent pas d’y amener leurs malades ou des personnes avec un mal incurable pour la médecine moderne. Dans l’art comme dans la religion, il y a l’homme enchainé qui veut se déchainer. Voilà ce qui explique la fréquentation de ce lieu symbolique par excellence qui semble lier le fini et l’infini. Les Africains qui fréquentent ces grottes comprennent qu’elles sont la présence même de l’infini qui vient titiller le fini. C’est la définition fondamentale de l’esthétique. Pour les Grecs, en effet, l’homme est un Dieu imparfait et Dieu est un homme parfait.
Avant d’avancer dans la perception mystique de la grotte par la plupart des habitants des villages environnants, j’aimerai continuer un tout petit peu sur la compréhension que la science nous livre sur la vie de la grotte. La formation des stalactites et des stalagmites est due tout simplement à la présence de l’eau. Pour les humains comme pour les rochers, l’eau fait partie des éléments qui portent la vie ; sans eaux, il n’y aurait pas de vie pour les rochers ni pour les plantes ; sans eaux, il n’y aurait pas de vie pour les hommes ni pour les animaux. L’eau, c’est la vie, dit-on. Si les roches parlaient notre langage, elles allaient le confirmer.
La terre comme nous le savons n’est pas un milieux calme, tranquille et apaisé. Il est soumis aux bouillonnements hyper actifs de l’intérieur. Les séismologues en savent beaucoup et le séisme de magnitude 7.8 sur l’échelle de Richter qui a frappé la Syrie et la Turquie vient encore de nous le rappeler brutalement en emportant près de 41.000 vies humaines.
La roche résiste aux secousses souterraines mais elle subit quand des fissures à la longue. L’eau pénètre dans ces fissures et avec le temps, un temps long, les partie solubles de la roche vont céder et cela donnera naissance aux stalactites et aux stalagmites qui s’attacherons, comme une branche au tronc d’un arbre, à la partie non soluble de la roche. C’est cela qui explique la morphologie de la grotte et ses « décorations » quasi architecturales internes. L’eau est donc à la base de la vie de la roche. Les études géologiques peuvent nous donner les informations sur le climat , sur la longévité de la roche et avec ces information le scientifique peut se risquer à faire une projection prédictive sur les changements à venir, et parfois les précautions à prendre.
La grotte reste un lieu mystérieux pour les habitants. Elle n’est pas un objet d’étude comme elle l’est pour les géologues que j’accompagnais. La grotte fait partie de leur nature et donc de leur être. Il n’y a pas une objectification de la nature dans la culture africaine. Nous sommes la nature et la nature est nous. Les grottes sont donc perçues comme des lieux où l’on peut communiquer avec les ancêtres, les lieux où l’on va parler à l’invisible et à l’infini toujours aux portes du fini. C’est le lieu où le Dieu imparfait qu’est l’homme va dialoguer avec l’homme parfait qu’est Dieu.
Les deux manières d’appréhender la nature, le cas échéant les grottes , sont différentes, POINT. Nulle n’est supérieure à l’autre. Le guide qui fait des incantations devant la grotte et le scientifique qui étudie la composition de la grotte exhibent deux manières distinctes de vivre la réalité de la grotte. Aucune des manières n’est supérieure à l’autre. Elles sont tout simplement différentes. C’est exactement comme l’évolutionnisme et le créationnisme, deux attitudes cognitives distinctes. Period.
J’en profite pour remercier mon ami et collègue, le professeur Roland Kakule, qui m’a introduit dans ce monde, et les deux experts venus de la Belgique, Pascale Lahogue et Imen Arfaoui, sans oublier nos géologues en devenir, Nadège Ngala et Junior Lutete, et nos guides et notre chauffeur."